"Loin de Berkley Hall" de Coralie Khong-Pascaud

Genre : Roman, Historique

Résumé :
Angleterre, 1911. Derrière les murs épais de l'immense demeure de Berkley Hall, lady Catherine Davenport tourne en rond. Décidément, elle ne pourra jamais se résoudre à cette existence morne, uniquement rythmée par les tea times et les robes somptueuses. Elle aspire à autre chose que la vie d'épouse docile qui l'attend.
À Berkley Hall, il y a aussi Lydia, la femme de chambre. Une domestique, rien de plus. Pour combattre l'amertume qui l'envahit en pensant à sa modeste condition, elle écrit de petits textes satiriques dans lesquels elle moque les habitudes de ces grandes familles côtoyées chaque jour.
La vie de ces deux femmes si différentes, mais éprises de liberté et de reconnaissance, vont se télescoper d'une façon inattendue. Comme la promesse qu'un jour, une aube nouvelle se lèvera sur Berkley Hall... 

Extrait :
"Il lui fallait oublier lord Ashton. Oublier aussi les attentes de ses parents qu'elle ne manquerait pas de décevoir davantage au vu de ce qu'elle s'apprêtait à faire faire. Oui, oublier. Et penser à demain, se concentrer uniquement sur ce projet un peu fou dans lequel elle avait embarqué Lydia malgré elle, et qui ne manquerait pas d'offusquer les membres les plus éminents de la bonne société. Oh oui, elle avait échappé au scandale, mais ce n'était que pour un temps !"

Mon avis :

Dans leur luxueuse demeure de Berkley Hall, lord Edward et lady Fiona coulent des jours heureux avec leurs enfants. Lady Catherine est l'aînée de la fratrie Davenport, suivie de Millicent et enfin George. La seule ombre au tableau est que lady Catherine, à vingt ans passés, n'est toujours pas mariée. Elle refuse les avances de ses prétendants, ce qui ne manque pas d'alimenter les rumeurs. Butée, lady Catherine désire une autre vie et tient tête à son père qui voit des avantages financiers grâce à un mariage. Autour des Davenport, les discrets domestiques sont aux petits soins et tiennent la maison en ordre. Parmi eux, il y a Lydia, une jeune femme qui est au service des deux sœurs. Elle a choisi ce travail par défaut, parce qu'elle doit subvenir aux dépenses de sa propre famille. Elle a mis de côté ses envies et ses rêves. Les deux femmes vont se rapprocher de façon inattendue et prendre leur destin en main. 

Dès les premières pages, nous sommes plongés dans l'ambiance de l'Angleterre des années 1910. C'est la fin de l'époque Victorienne, le pays connait des mouvements populaires (notamment les « suffragettes ») : les gens veulent du changement. Cela n'échappe pas à lady Catherine et Lydia qui en ont marre des conditions de vie actuelle. Si lady Catherine n'a pas à se plaindre de son rang, elle n'est pourtant pas heureuse. Le protocole voudrait qu'elle soit déjà mariée (pas forcément avec un homme qu'elle aime) avec des enfants et qu'elle soit « une bonne épouse ». Seulement, la jeune femme n'a pas l'ambition de reproduire le schéma familial, ni de respecter la bienséance pour faire plaisir. Si elle n'a pas forcément d'idée précise pour se démarquer, elle est pourtant déterminée à ne pas faire ce que l'on attend d'elle. Touchante, cette révolutionnaire en herbe ne facilite pas la tâche à son père qui tient à sa réputation. Pourtant, il n'est pas foncièrement mauvais car il n'oblige en rien lady Catherine, alors qu'elle refuse une belle opportunité de mariage. Il aurait pu organiser un mariage arrangé ou décider pour elle. Mais il n'en fera rien, laissant sa fille faire ses propres choix. Lady Fiona se montre très discrète et n'a pas d'opinion. Fade, elle est de l'ancienne génération et respecte les convenances. De son côté, Millicent espère réaliser son rêve d'entrer dans la haute société et de se faire courtiser. En revanche, elle n'est pas prête à épouser n'importe qui : elle a du caractère.

Dans les coulisses de Berkley Hall, les domestiques sont à pied d'œuvre tous les jours. Leurs conditions ne sont guère enviables : peu d'argent, pas d'éducation, beaucoup de travail, pas de reconnaissance… Ce sont pourtant ces invisibles qui font tourner la propriété et apporte le confort de vie à la famille. Lydia n'aime pas son travail, même si les Davenport sont plutôt bons. Elle aimerait pouvoir devenir quelqu'un et que l'écart entre les riches et les pauvres ne soient plus si marqué. Pour s'échapper de son quotidien, elle écrit. Dans son carnet, elle raconte la vie à Berkley Hall, les soirées mondaines, caricature les convives, etc. Pétillante, la jeune femme aimerait s'épanouir davantage. Toutefois, elle ne peut pas compter sur Anne, Mrs Smith, ou les autres domestiques qui sont bien trop sérieux et ennuyeux. L'alliée qui la fera enfin sortir de cette monotonie sera lady Catherine. Malgré leur différence de rang, les deux femmes vont sympathiser, puis s'entre-aider à devenir les femmes indépendantes qu'elles imaginent depuis si longtemps.

Dans ce roman, on assiste à l'évolution de la vie de lady Catherine et de Lydia durant plusieurs mois. L'auteure décrit avec précision la façon de vivre de l'époque; ainsi, on a vraiment l'impression d'être aux côtés des héroïnes. On imagine bien le raffinement et l'importance des apparences. Lorsque l'on est du côté des Davenport, on ressent la platitude, voire l'ennui du quotidien. Seules quelques mondanités égayent leurs soirées. Malgré quelques tensions, l'atmosphère est calme et sereine. Du côtés des domestiques, c'est plus dynamique et tendu : il faut courir partout pour satisfaire les désirs de la famille. Il n'y a que peu de répit et pas de divertissement. 
Les injustices et la considération de la Femme révoltent lady Catherine et Lydia. Avant même de se rapprocher, on les voit se questionner, réfléchir à la Vie, à leurs vies, à l'avenir. 

L'intrigue est légèrement pimentée par un secret de famille. La seule chose qui m'a manquée, c'est le manque d'audace de lady Catherine : je pensais qu'elle irait vers des actes plus concrets et qu'elle serait plus impliquée dans les mouvements populaires. Cependant, elle a trouvé la voie qui lui plait et ce dénouement m'a satisfaite, car elle reste fidèle à elle-même. J'ai bien aimé les descriptions de l'auteure qui rendent les personnages et les décors réalistes. On se représente facilement l'histoire. La lecture est agréable, notamment grâce à la plume soignée et distinguée de Coralie Khong-Pascaud.

Ma note : 4/5

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Service Presse