"Déjeuner en paix" de Charlotte Gabris

Genre : Roman, Feel-Good

Résumé :
Paris, une terrasse de café ensoleillée.
C'est l'heure du déjeuner, les gens font la queue. Les salades sont immangeables, une tasse de thé coûte huit euros, le personnel est abject. Mais les gens font la queue. 
Une jeune provinciale est attablée, seule. À ses côtés, une Parisienne attend son amoureux qui tarde à la rejoindre. Deux femmes qui n'ont a priori rien en commun. Si ce n'est que l'une et l'autre se regardent, se jaugent, se moquent. 
Peut-on parler fort, ne jamais sourire, et porter un panier en osier avec autant d'assurance et d'aplomb ? se demande la première.
Peut-on boire un verre de vin en trinquant... avec soi-même, et sembler heureuse malgré tout ? se demande la seconde.
Mais sont-elles si différentes ? Et qui sont-elles pour se juger si durement ?

Extrait :
"Ca y est, elle a garé son vélo. Elle se dirige maintenant vers la terrasse, avec en guise de sac à main un panier en osier. En même temps, il n'y a qu'elle qui puisse porter un panier en osier ; il n'y a que sur des filles comme elle que ça marche. Sur moi, c'est impossible. Avec ma robe à fleurs et un panier, je ressemblerais à Caroline Ingalls qui revient de chez Mme Oleson bredouille. (Oui, Caroline Ingalls rentrait souvent bredouille de chez Mme Oleson ! Parce que les œufs étaient trop chers. Mais elle gardait le sourire. Charles partait couper du bois, Laura allait trébucher dans la prairie pour la centième fois, et tout suivait son cours. Jamais on ne l'a vue se plaindre, Caroline, avec sa capeline et son petit panier.) Mais sur la fille à vélo, un panier en osier, ça faisait Brigitte Bardot. Finalement, le look belle des champs ne va qu'aux filles des villes."

Mon avis :
Deux femmes seules sur une terrasse d'un café : elles s'épient du coin de l'œil, regardent ce que l'autre fait ou mange. Elles se comparent, se trouvent parfois mieux, parfois moins bien que l'autre ; elles imaginent une vie à l'autre, la jalouse, ou la prenne en pitié… Bref, deux femmes qui cancanent intérieurement, comme tant de femmes peuvent le faire… Mais dans quel but ? Vont-elles finalement se parler ? S'apprécier ? 

Ce roman comporte une structure plutôt originale puisqu'on navigue uniquement dans les pensées des deux femmes dont on ne connait pas immédiatement l'identité ; et pour préserver cela, je ne les nommerai pas non plus. Fraichement arrivée dans la capitale, la plus jeune paraît peu sûre d'elle. Elle a décidé de sortir pour rencontrer du monde, mais les gens l'intimident. Sur cette terrasse, elle tente de faire bonne figure, se donne de la contenance en souriant, mais intérieurement, c'est la panique ; elle nous livre ses ressentis. Elle se sent banale, pas intéressante ; elle sait qu'elle doit s'affirmer pour imposer ses idées et ne pas se faire marcher sur les pieds. Elle aperçoit cette jolie femme, un peu plus âgée qu'elle, qui marche de façon déterminée… Et immédiatement, la jeune se dévalorise : elle ne fait pas le poids à Paris face à des femmes comme l'autre : jolie, confiante ; elle en est certaine, tout lui sourit… 
L'autre arrive à cette terrasse et attend son ami, elle repère parmi la foule, cette jeune fille qui sourit un peu bêtement. Elle est intriguée par cette personne qui transpire la solitude et la tristesse… Mais est-elle si désœuvrée que cela ? La femme a envie de prendre la jeune sous son aile et en même temps, elle n'a pas que ça à faire. C'est évident qu'à côté d'elle, sa vie est bien plus réussie… Vraiment ? On s'attache à ces deux femmes si différentes l'une de l'autre mais qui sont charmantes et touchantes à leur façon.

Au fil des monologues intérieurs, on apprend à connaitre les deux femmes : leurs failles, mais aussi leurs réussites ; leurs défauts, et surtout leurs qualités. Avec dérision, les deux s'interrogent sur des thématiques intéressantes et d'actualité : les agressions sexuelles dans le métro, le féminisme, la rivalité entre femmes, le regard des autres, l'égalité et les relations hommes/femmes, le diktat de la beauté,... Elles expriment ce qu'un grand nombre de femmes pensent : la difficulté à trouver une place dans la société ; quelque soit les choix que l'on fait, on a l'impression d'être jugé. On y retrouve toutes les injonctions et la pression que l'on peut entendre dans les médias, la famille, entre amis ou au travail (couple, mariage, enfants, …) et cela pousse à la réflexion. En effet, nous sommes souvent sévère avec nous-mêmes ; mais surtout, on a tendance à critiquer les personnes que l'on croise (le physique, les vêtements, etc.). Si chacun s'acceptait comme il est, et les autres tels qu'ils sont, la vie serait un peu plus légère pour tous. 

Derrière un récit bourré d'humour, qui pourrait d'ailleurs être vu comme un One Woman Show, un joli message de tolérance est communiqué. Pétillantes, les deux femmes font preuve d'une grande répartie, et malgré leurs critiques souvent dures et négatives, elles réussissent leur travail d'introspection avec brio. C'est lors du dénouement, surprenant, que l'on en prendra conscience. Ce livre, drôle et émouvant, m'a fait passer un très bon moment. La plume de Charlotte Gabris est piquante, amusante et réfléchie. Agréable, cette lecture est une très belle découverte !

Ma note : 5/5

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Service Presse
Eric Poupet & Le Cherche Midi