"Chanson douce" de Leïla Slimani

Genre : Roman, Drame

Résumé :
« Louise ? Quelle chance vous avez d'être tombés sur elle. Elle a été comme une seconde mère pour mes garçons. Ca a été un vrai crève-cœur quand nous avons dû nous en séparer. Pour tout vous dire, à l'époque, j'ai même songé à faire un troisième enfant pour pouvoir la garder. »
Lorsque Myriam décide malgré les réticences de reprendre son activité au sein d'un cabinet d'avocats, le couple se met à la recherche d'une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise et sont conquis par son aisance avec Mila et Adam, et par le soin bientôt indispensable qu'elle apporte à leur foyer, laissant progressivement s'installer le piège de la dépendance mutuelle.

Extrait :
"Le bébé est mort. Il a suffit de quelques secondes. Le médecin a assuré qu'il n'avait pas souffert. On l'a couché dans une housse grise et on a fait glisser la fermeture éclair sur le corps désarticulé qui flottait au milieu des jouets. La petite, elle, était encore vivante quand les secours sont arrivés. Elle s'est battue comme un fauve. On a retrouvé des traces de lutte, des morceaux de peau sous ses ongles mous. Dans l'ambulance, qui la transportait à l'hôpital, elle était agitée, secouée de convulsions. Les yeux exorbités, elle semblait chercher de l'air. Sa gorge s'était remplie de sang. Ses poumons étaient perforés et sa tête avait violemment heurté la commode bleue.
[...]
La mère était en état de choc. C'est ce qu'on dit les pompiers, ce qu'ont répété les policiers, ce qu'ont écrit les journalistes. En entrant dans la chambre où gisaient ses enfants, elle a poussé un cri, un cri des profondeurs, un hurlement de louve. Les murs en ont tremblé. 
[...]
L'autre aussi, il a fallu la sauver. Avec autant de professionnalisme, avec objectivité. Elle n'a pas su mourir. La mort, elle n'a su que la donner."

Mon avis :
Paul et Myriam embauchent une nounou pour leurs enfants, Mila et Adam. La jeune femme a décidé de reprendre son travail après plusieurs années d'inactivité professionnelle. Ils trouvent une perle : Louise. Recommandée par ses anciens employeurs, elle gère non seulement les enfants, mais aussi l'entretien de la maison : repas, ménage. Mais ce bonheur nouveau laisse place à des sensations de malaises parfois... Un jour de printemps, c'est l'effroi qui s'abat sur la famille. Comment et pourquoi ce drame est arrivé ?

Ce roman débute avec la terrible description de la scène de crime : pas de doute, Louise a tué les enfants qu'elle gardait, ceux de Paul et Myriam. À peine remise de ce constat, j'ai pu remonter le temps, de quelques mois, et voir comment tout à commencé. J'ai d'abord fait la connaissance du couple, plus particulièrement de Myriam m'a semblée démunie. Négligée, esclave de la maison, du rythme des enfants, elle ne se reconnaissait plus. Comme beaucoup de femmes, elle n'est simplement pas faite pour être mère au foyer ; elle avait besoin de reprendre une activité, d'avoir une reconnaissance professionnelle. C'est ainsi que Louise arrive chez eux, élégante, souriante et rassurante. Elle est parfaite, Myriam et Paul la compare à Mary Poppins, et moi aussi.

Les mois filent et tout le monde y trouve son compte. Insidieusement, Louise s'impose de plus en plus à la maison, se rendant indispensable. Myriam et Paul aiment son travail mais ils commencent à se sentir oppressés par la nourrice. Du côté lecteur, on entrevoit des éléments que les policiers ont glané durant l'enquête : le passé de Louise, des témoignages... J'ai aimé la construction du récit, c'est entrainant. Ainsi, j'ai découvert un autre visage de la nounou, plus sournois ; une facette plus misérable qui ferait presque pitié. Dans une ambiance lente et sinistre, les semaines précédents le drame sont difficiles. Imperceptiblement, des tensions apparaissent, des non-dits se cachent, des reproches mijotent. Est-ce que tout cela aurait pu être évité ? 

Bouleversant, ce livre est d'autant plus émouvant qu'il est inspiré de faits réels. J'ai été très touchée par cet événement tragique : je n'ai même pas essayé d'imaginer ce que les parents ont pu ressentir et traverser ; c'est abominable. Derrière l'aspect dramatique, j'ai apprécié la réflexion autour de la place de la femme. Ce sont des  débats qui reviennent très souvent : juger une mère parce qu'elle reste à la maison à ne rien faire, elle ne doit pas être fatiguée de sa journée... Ou à l'inverse, critiquer celle qui a une activité professionnelle : elle abandonne ses enfants, elle est égoïste. Rien ne paraît être bien au regard de la société, pas même l'éducation donnée : trop ceci, pas assez cela... Les injonctions fusent : il faut faire, tu ne devrais pas... J'ai aussi bien compris le point de vue sur la vie de Louise, sa personnalité, son passé, mais je ne peux accepter aucune circonstance atténuante ; rien ne justifie ce geste. Incisive, la plume de Leïla Slimani m'a totalement emportée.

Ma note : 5/5

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