"Seule en sa demeure" de Cécile Coulon

Résumé
"Le domaine Marchère lui apparaîtrait comme un paysage après la brume. Jamais elle n'aurait vu un lieu pareil, jamais elle n'aurait pensé y vivre." 
C'est un mariage arrangé comme il en existait tant au XIXe siècle. À dix-huit ans, Aimée se plie au charme froid d'un riche propriétaire du Jura. Mais très vite, elle se heurte à ses silences et découvre avec effroi que sa première épouse est morte peu de temps après les noces. Tout devient menaçant, les murs hantés, les cris d'oiseaux la nuit, l'emprise d'Henria la servante. Jusqu'au jour où apparaît Émeline. Le domaine se transforme alors en un théâtre de non-dits, de désirs et de secrets enchâssés, "car ici les âmes enterrent leurs fautes sous les feuilles et les branches, dans la terre et les ronces, et cela pour des siècles".

Extrait
"Ce dimanche-là, Jeanne Marchère s'éteignit sans faire de bruit.
[...]
Interdit, Candre observa quelques minutes sa mère, allongée sur cette dalle, puis l'enfant leva les yeux aux enfers avant de venir, comme on fait aux vieilles personnes retrouvées mortes au lit, effleurer les paupières de Jeanne pour tirer sur ses yeux vides. Alors il sentit un bras puissant le saisir à la taille, et Henria murmura « Pauvre petit, viens. Pauvre, pauvre petit. Je ferai tout ce qu'il faudra pour toi. Tu n'as rien à craindre. » Et quand il tourna vers elle son regard où les larmes débordaient, elle le prit dans sa robe : il y enfouit sa tête de moineau de cinq ans, pendant qu'autour d'eux on déplaçait le corps de Jeanne Marchère, que les couleurs maquillaient violemment, comme si Dieu lui-même jetait sur elle ses pinceaux usés et salis."

Mon avis
En âge de se marier, Aimée Deville est approchée par Candre Marchère, un riche jeune homme bien mystérieux. Déjà veuf, ce second mariage, il l'espère heureux. Mais à peine arrivée au domaine de son époux, Aimée ressent de la mélancolie et un isolement difficile à supporter. En apparence bienveillant, l'homme essaye d'égayer les journées de sa femme en faisant venir Émeline, une professeure de musique. Mais cela ne suffit pas. Le passé de la demeure hante Aimée qui se sent mal à l'aise... Ses angoisses sont-elles justifiées ? A-t-elle quelque chose à craindre ?

Dans ce roman, j'ai fait la connaissance de la famille Deville : Aimée, la fille unique, douce et gentille ; Amand, son père, un vieux vétéran, et sa mère ; Claude, son cousin qui a grandit avec elle. D'une grande simplicité, la famille Deville vit chichement mais avec beaucoup d'amour et de liberté. Comme il est de coutume à l'époque, la fille est mariée avec un bon parti. C'est ainsi qu'Aimée épouse Candre Marchère. Seul, cet homme veuf est séduisant mais plutôt secret. Il vit dans le domaine familial, un coin reculé et isolé, où il loge aussi la gouvernante, Henria, qui l'a élevé comme son fils après la mort de ses parents ; et Angelin, d'apparence simplet, le fils de celle-ci. Aimée rencontrera aussi Émeline, sa professeure de musique qui insufflera un peu d'air et de légèreté dans cet environnement étouffant. Les personnages ne sont pas toujours simples à cerner ; certains sont attachants, d'autres moins. Aimée est assez lisse (un peu ennuyeuse) mais cela correspond probablement au caractère des femmes de l'époque.

Pesante et sombre, l'intrigue évoque succinctement un instant de l'enfance de Candre avant d'enchainer au présent : la rencontre entre les familles Deville et Marchère. Discret, Candre s'immisce doucement dans la vie d'Aimée, jusqu'à la demande en mariage. L'ambiance devient plus écrasante lorsque la jeune mariée rejoint sa nouvelle demeure. La propriété est vaste, entourée par la nature, mais cette solitude lui pèse dès les premières heures. Intimidée, elle n'ose rien dire, rien faire qui pourrait perturber les habitudes de cette étonnante famille : Candre, Henria et Angelin. Avec ennui, elle regarde les jours s'égrener, sans plaisir, sans joie ni passion. Perturbée par la mort d'Aleth, l'attitude parfois distante de Candre ou encore l'étrange comportement d'Angelin, Aimée se questionne... Elle finit par se confier à Émeline lors d'une séance de musique. Se sentant épiée, parfois en insécurité, Aimée creuse un peu ce passé qui l'intrigue tant. Après quelques découvertes, la vérité viendra d'Émeline. Le dénouement est rapide, brusque et sans perspectives.

Même si j'ai trouvé l'écriture assez soutenue et recherchée, je n'ai pas été emportée comme je le pensais. Pour moi, il ne s'agit pas d'un thriller mais plutôt d'une histoire qui comporte un peu de suspense sans pourtant être dynamique. J'ai été parfois rebutée par des longueurs et ce manque de rythme. Le récit s'épanche sur l'ennui et la tristesse d'Aimée, ses soucis et ses réflexions qui restent trop superficielles. J'attendais un déroulé plus précis, détaillé et entrainant. J'ai eu l'impression que des pistes étaient suggérées mais pas approfondies (comme la relation Aimée / Émeline). La disparition tragique d'Aleth aurait dû être plus centrale, plus poussée. Les découvertes simultanées d'Aimée et d'Émeline ont été le seul moment où mon intérêt s'est réveillé mais cela s'est trop vite essoufflé. J'aurais aimé avoir un suspense constant, omniprésent, plus haletant ; surtout, la fin n'a pas répondu à toutes mes questions et mes attentes. C'est donc un peu déçue que je ressors de cette lecture qui est pourtant intéressante si l'on ne s'attend pas à lire un thriller. Immersive, la plume de Cécile Coulon est visuelle, je me suis tout de même projetée avec facilité dans les lieux décrits, notamment l'atmosphère oppressante que j'ai bien ressenti.

***
Intéressé.e par ce livre ? Vous pouvez le trouver ici → https://amzn.to/4iyTpIp