"Où tu seras reine"' de Chrystel Duchamp

Résumé
Maud, vingt-cinq ans, entretient une relation fusionnelle avec sa mère. Quand sa psychiatre lui explique que ce lien l’empêche de s’épanouir, la jeune femme décide de prendre ses distances avec la figure maternelle.
Jusqu’au jour où Maud découvre sur son répondeur un message paniqué de cette dernière. Un message qui se conclut par « Je l’ai tué ».
Maud se précipite dans la maison de son enfance. Commence alors une chasse au trésor funèbre qui va l'amener, pièce par pièce, à exhumer d'inavouables secrets de famille…

Extrait
"Quand elle m'a appelée, je n'ai pas décroché. Mes mains chargeaient la gueule d'un énorme lave-vaisselle, monstre de métal affamé, friand de couverts et d'assiettes sales. Je grimaçais tandis qu'il me crachait à la figure son haleine fétide dans un nuage brûlant d'humidité. Son grognement assourdissant couvrait le moindre bruit alentour, jusqu'à la sonnerie de mon téléphone. Si la mélodie n'a pas atteint mes oreilles, j'ai senti les vibrations contre ma cuisse. Les doigts souillés de sauce tomate et de béchamel, j'ai extirpé l'appareil de la poche de mon pantalon pour consulter le nom qui clignotait sur l'écran.
« Maman ».
Après une hésitation, j'ai décidé de ne pas répondre."

Mon avis
Sur les conseils de sa psychiatre, Maud se détache temporairement de sa mère, rompant un lien et des habitudes très encrés. Mais elle reçoit un message sur son répondeur qui l'affole et elle retourne dans sa maison d'enfance qu'elle redécouvre complètement. Avec un œil nouveau, elle dissèque chaque pièce, observe chaque détail et se fait violence pour refaire le fil de son enfance pour, peut-être, avoir des réponses sur elle et sa famille. Effarée par ses premières découvertes, elle n'a pourtant pas fini sa sombre exploration qui la mènera aux portes de la folie, si ce n'est de l'enfer...

Dans ce roman, j'ai fait la connaissance de Maud, jeune femme de 25 ans, qui vit seule avec son chat. Atteinte d'une maladie psychique, elle a acquis son indépendance après de grosses épreuves dans sa vie. Séparée de sa mère à l'adolescence, elles ont toutefois gardé un lien indéfectible et sont très proches. Edwige, la mère, vit dans la demeure familiale où sa fille n'est jamais revenue car elle y a vécu des épisodes marquants. Elles fonctionnent comme un duo et son indissociables. En apparence, on ressent une grande bienveillance. Démunie par l'appel manqué de sa mère, Maud tombe dans une souffrance psychique qui mêle beaucoup de sentiments. Fragiles, les deux femmes se montrent touchantes, surtout Maud qui est serviable, vigilante. Toutefois, notre vision évolue au fil des pages et l'on s'interroge sur leur vraie nature - peut-être à tort. Peu d'autres personnages interviennent dans ce huis-clos, juste des évocations : la psychiatre, le père absent.

Insidieuse, l'intrigue commence avec le défi entre Maud et sa mère : ne pas se contacter pendant une semaine afin que la jeune femme gagne en confiance et en épanouissement. Leur relation fusionnelle est jugée un peu trop toxique par la psychiatre. Après un message alarmant et ne pouvant joindre sa mère, Maud s'affole et part chez elle. Cette maison austère, Maud la redoute pour ses souvenirs. Délabrée et négligée, la demeure est encore pire à l'intérieur. Dans une ambiance sinistre, Maud avance petit à petit, submergée par les réminiscences. Ce retour aux sources la percute de plein fouet et dans ce brouillard persistant, malaisant, il y a des incertitudes, des doutes, de la confusion, une remise en question... L'atmosphère se charge progressivement en tension et, comme dans la tête de Maud, on se retrouve dans un brouillard où le vrai et le faux s'emmêlent. Les découvertes que la jeune femme fait s'avèrent étonnantes, douloureuses voire effrayantes, presque inimaginables. Curieuse, j'ai suivi avec intérêt tout l'histoire, faisant des suppositions, cherchant à comprendre ce qu'il s'est passé dans la maison en assemblant les éléments, comme un puzzle complexe. Explosif, le dénouement laisse le lecteur avec des révélations glaçantes que je n'aurais pas imaginé.

J'ai beaucoup aimé ce roman qui évoque une histoire relativement glauque à l'atmosphère lugubre. Il a pour scène l'esprit embrumé de Maud. Souffrant d'une pathologie psychique, sous traitement, son adolescence a été très tourmentée et sa jeune vie d'adulte est timide, prudente. On le ressent dans l'évocation de ses souvenirs, comme des arrêts sur image. Le lecteur est donc placé dans sa tête exclusivement, on vit tout à travers elle et cette expérience est plutôt réussie car j'ai bien ressenti les émotions liées à son état mental. Maud passe par tout : inquiétude, joie, peur, panique, colère, dégoût... Il est parfois difficile de la voir évoluer dans cet état. Encore trop souvent tabou, parfois redoutée, la maladie psychique est au cœur de l'intrigue bien au-delà de Maud. Sa pathologie est bien expliquée : on ne tombe pas dans des clichés qui véhiculent parfois de fausses croyances. L'auteure aborde les origines, les causes possibles ; l'évolution de la personne dans les soins - ou en l'absence de soins - mais aussi les répercussions sur le quotidien, l'entourage ; ou encore les conséquences parfois dramatiques qui en découlent. J'ai trouvé très intéressant la manière d'aborder ce sujet sensible. Concernant la forme du livre, je l'ai trouvé bien construit ; j'ai notamment apprécié les titres des chapitres qui se découpent par pièce, ainsi que les quelques mots avant de se lancer dedans. Soignée et plaisante, la plume de Chrystel Duchamp est entrainante et délicate à lire.

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De cette auteure, j'ai aussi lu : Le sang des Belasko.

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Service Presse
Via Babelio