"Enfant du désordre" d'Aurélie Ribière

Résumé
Jordan Mendoes n'a que six ans lorsqu'il meurt dans ce qui semble être un accident domestique. Depuis l’au-delà, il tente de conserver l’intérêt des vivants en contant les moments marquants de son histoire. Il décrit les engrenages sociaux et familiaux implacables qui ont mené à sa fin tragique.
Malgré la maltraitance dont il est victime, Jordan n'accuse personne. Avec son regard candide d'enfant, il dépeint avec humour, mais aussi de manière implacable et précise, les adultes et les enfants qui gravitent autour de lui: sa famille dysfonctionnelle, ses amis, son enseignante, le personnel médico-social, son orthophoniste, etc. Il décrit leur violence, leur lâcheté ou leur impuissance et n'hésite pas à partager ses réflexions sur la vie, la mort, l'amour, etc.
Alors, qui est le vrai responsable de la mort de Jordan ?

Extrait
"Je suis mort aujourd’hui. J’ai, enfin... j’avais six ans. Je crois qu’il faut désormais utiliser les temps du passé pour parler de moi.
C’est un peu jeune pour mourir, me direz-vous. Sans doute. C’est pourtant ce qui m’est arrivé, comme ça, d’un coup. Je ne m’y attendais pas. Une vraie surprise !
Je n’avais jamais pensé à la mort ou alors seulement quand Mamie tuait les lapins et les poulets pour les vendre ou les cuisiner. Je veux dire, je n’avais jamais pensé à la mort pour moi. Je ne comprenais d’ailleurs pas très bien ce que c’était. Les lapins sautaient puis, quelques instants plus tard, ne bougeaient plus ; les poulets couraient et caquetaient puis, un mouvement du couteau, un œil rond étonné et c’était le silence. Le silence et du sang dans une bassine. Pour moi aussi, ça a été très rapide... quelques secondes, même pas."

Mon avis
Un jour comme un autre, Jordan meurt à la suite d'un accident dramatique... Que s'est-il vraiment passé dans la maison ? L'accident est-il inévitable ? Depuis un autre monde, le petit garçon décrit le drame avant de revenir sur sa vie et ce qui a conduit à ce jour fatidique. 

Dans ce roman, j'ai découvert Jordan, le petit garçon qui perd la vie alors qu'il était en train de jouer avec sa petite soeur Kayla. Ses parents, Jessica et Manuel, sont séparés depuis quelques mois et leur relation ne se passe pas bien. Jordan a grandit dans un lotissement où vivent aussi ses oncles, tantes et cousines : Rebecca et ses filles ; Dylan, Jennifer et leurs filles. Les grands-parents ne sont pas loin non plus. D'un premier abord, on sent une grand bienveillance et de l'entraide dans cette famille. Mais le récit de Jordan va faire évoluer les regards au fil des pages. J'ai aussi rencontré la maitresse d'école, l'orthophoniste, la douce Angèle mais aussi des travailleuses sociales. Mon opinion a évolué sur plusieurs personnages ; j'ai été beaucoup moins indulgente que Jordan envers eux. Le petit garçon est touchant, je me suis attachée à lui et j'ai pu me représenter sa situation sans mal.

Bouleversante, l'intrigue démarre avec le décès de l'enfant suivi de ses obsèques. Après, Jordan revient en arrière pour nous partager le film de sa (courte) vie. Il évoque la rencontre de ses parents, le contexte familial, sa conception. Avec un certain recul, il analyse comme il le peut ce qu'il s'est passé depuis sa venue au monde, il revoit les événements, ré-entend les discussions, les disputes. Avec tendresse, il voit sa relation (malsaine) avec sa mère d'une autre manière et se demande si les choses auraient pu être différentes. Au fil du temps, les reproches, la négligence, la maltraitance se sont encrés. Tristement, Jordan s'est conformé à ce qu'on attendait de lui dans ce milieu défavorisé, peu cultivé. Et pourtant, tous ses signes n'ont pas suffit à intervenir à temps. Les professionnels qui entourent quotidiennement les enfants remarquent des choses, essayent d'échanger avec les parents, orientent à d'autres interlocuteurs. La lenteur d'intervention, les multiples structures compliquent la possibilité d'améliorer la situation de l'enfant. Tragique, l'issue de ce livre montre qu'il y a encore du chemin à faire...

Réaliste, cette histoire reflète parfaitement les dysfonctionnements de la société dans l'intervention auprès d'enfants victimes de violences, dans les rouages de l'aide sociale à l'enfance. Encore trop souvent, les médias rapportent des décès d'enfants à la suite de maltraitance. Des cas familiaux qui sont souvent connus des services sociaux. Malgré des signalements, ces enfants tardent à être entendus et protégés. Ces violences, physiques et/ou psychologiques, ne sont pas toujours visibles, c'est parfois insidieux. Il faut donc un certain temps pour que les signalements apparaissent. La prise en charge ensuite n'est pas réactive : la multitude de professionnels et le traitement administratif font perdre un temps précieux... et cela peut être fatal. Ici, l'exemple de Jordan, rejeté depuis qu'il est né. Bien construit, le récit s'étire avec émotions ; l'enfant se confie, nous parle. C'est extrêmement poignant, on a envie d'aider ce petit garçon qui ne demande qu'une chose : de l'amour. L'auteure a retranscrit avec soin et une certaine pudeur le reflet de ce type de situations. Entrainée, j'ai ressenti de la colère, de la tristesse tout au long de ma lecture. Même si la situation est révoltante, le point de vue de l'enfant apporte une certaine nuance. Dans un tout autre style, la plume d'Aurélie Ribière est toujours aussi plaisante.

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De cette auteure, j'ai aussi lu : Gaia enquête au vert : tome 1 ; tome 2 ; tome 3.

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Service Presse