"Le dernier festin des vaincus" d'Estelle Tharreau

Genre : Roman, Thriller

Résumé :
Un soir de réveillon, Naomi Shehaan disparaît de la réserve indienne de Meshkanau. Dans une région minée par la corruption, le racisme, la violence et la misère, un jeune flic, Logan Robertson, tente de briser l'omerta qui entoure cette affaire. Il est rejoint par Nathan et Alice qui, en renouant avec leur passé, plongent dans l'enfer de ce dernier jalon avant la toundra.

Extrait :
"À présent, Naomi gisait au milieu du vaste lac gelé. Les os rompus, elle n'avait plus la force de se traîner. Son corps avait creuser un long sillon qu'allait bientôt combler la neige qui s'abattait en rafales.
Elle entendit un piétinement et un grognement qui se rapprochaient. La moindre respiration lui brûlait la poitrine et faisait couler son sang au coin de ses lèvres. Sur sa joue, elle sentit le velours des cors et le souffle chaud du jeune mâle caribou. L'animal vénéré par son peuple venait à elle comme dans un rêve, comme dans les récits qui avaient forgé les croyances de ces ancêtres.
Mais, rapidement, il s'éloigna, bien avant qu'elle n'entendit le claquement métallique d'un fusil qu'on arme. Elle vit des semelles de bottes. Ses ongles s'y plantèrent, s'y accrochèrent pour implorer pitié.
Le caribou avait reculé, mais n'était pas parti. Il faisait face à l'humain dressé au milieu de cette vaste étendue blanche sous un ciel d'encre.
Tandis que la neige commençait à recouvrir le corps supplicié de Naomi, le visage de l'homme se grava dans les yeux noirs et fixes de l'animal."

Mon avis :
Dans les confins du Canada, deux peuples vivent côte à côte dans la méfiance. Les blancs et les Indiens vivent respectivement à Pointe-Cartier et dans la réserve de Meshkanau. La cohabitation est fragile, et cela ne s'arrange pas quand une autochtone disparait et qu'un projet d'implantation de scierie émerge... Certaines personnes vont tenter de faire éclater la vérité par tous les moyens et en bravant tous les dangers. Cette quête va révéler d'anciens secrets et bousculer la population.

Dans ce roman, j'ai fait la connaissance de Michèle, Peter, Marie - des autochtones, proches de Naomi ; mais aussi de Thomas Lebel, Samuel Roy, du Dr Harvey - des personnes plutôt bien placées en ville. J'ai aussi découvert Nathan, Alice et Logan Robertson qui se montrent déterminés à faire la lumière sur les dérives existants. Surtout, j'ai été transportée par l'Histoire du peuple Innu qui colle à la réalité. Leur environnement, la façon dont ils ont été traités - et encore actuellement. J'ai perçu la défiance entre les peuples : discrimination, ignorance, violence - que ce soit dans le passé ou au présent. J'ai pu me documenter en parallèle et j'ai pu constater la véracité de ces faits. Cela donne une toute autre dimension à ce récit.

Qu'est-il arrivé à Naomi ? Y-a-t-il un lien avec d'autres disparitions récurrentes d'autochtones ? Dans une atmosphère glaciale, je me suis interrogée sur les événements qui se déroulent dans cette région isolée. La tension est palpable dès le départ, j'ai perçu l'animosité ambiante ; comme une rivalité encrée depuis des décennies. Je me suis demandée pourquoi les autochtones étaient cantonnés à une vie aussi misérable faite de pauvreté, d'alcool, de drogue ; où les disparitions sont courantes et les décès violents banalisés ? En côtoyant la famille Shehaan, j'ai saisi que les conflits sont anciens et que de lourds secrets sont à l'origine de bien des drames. En bousculant les habitudes de taire, de camoufler, Logan, Nathan et Alice s'attirent des ennuis mais ils veulent avant tout briser le cercle vicieux dans lequel la région s'est enfermée. Insidieuse, l'intrigue se dévoile progressivement et le dénouement répondra à toutes les questions.

Instructif, ce récit m'a transportée sur les lieux et j'ai eu l'impression d'être dans un huis-clos car la ville et la réserve semblent relativement isolées. La neige renforce le sentiment de solitude et de froideur. Le contexte est pesant, la sensation de malaise est récurrente. Au fil des pages, j'ai pu en apprendre plus sur le peuple Innu, leur installation, leur vécu ; tout cela explique certains comportements qui entretiennent la précarité et les fragilités qui se transmettent à la génération suivante. Le fardeau est partagé sans qu'il soit pour autant expliqué ; les non-dits tuent à petit feu ce peuple éprouvé. J'ai trouvé le sujet très intéressant ; encore un exemple de la nature de l'Homme... J'ai également apprécié la construction du livre qui s'étire sur plusieurs mois, les parties et chapitres marquent le temps et le rythme. Aussi, la narration est plaisante : on navigue entre les personnages comme si une voix-off nous racontait l'histoire d'une manière calme, posée. Agréable, la plume d'Estelle Tharreau m'a entrainée une fois de plus dans son univers.

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Service Presse
Taurnada